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Art. 12.-LA QUESTION POLONAISE ET L'EUROPE AU COURS DE LA GUERRE.

Pour votre liberté et pour la nôtre. (Devise polonaise.)

DEUX grands principes dominent la guerre que font les Alliés à l'impérialisme allemand, le droit des peuples et l'équilibre européen. A la base de l'une et l'autre de ces préoccupations, on retrouve la question polonaise. Ce peuple, debout sous l'oppression depuis plus d'un siècle, a manifesté plus qu'aucun autre son droit à l'existence. I n'a rien perdu, sous le joug étranger, de ses fortes qualités; il est demeuré un élément de civilisation occidentale dans l'Orient de l'Europe; il a marché de pair avec ses maîtres, au point de vue moral, intellectuel et économique; il a prouvé, au milieu de tribulations, sa profonde vitalité. Les raisons historiques et morales qui assignent aux Polonais une place à part au milieu des autres peuples opprimés ne suffiraient cependant pas à leur assurer un droit à l'assistance active des Alliés, s'il ne s'y joignait des motifs actuels et positifs. On ne saurait demander aux peuples de verser leur sang et de prolonger une guerre effroyable pour des intérêts étrangers. Mais le sort de la Pologne n'est étranger à aucune nation en Europe; c'est le problème central de la politique européenne, le gage de l'équilibre, et sans équilibre il ne peut y avoir de liberté pour personne sur le continent.

L'Allemagne ne saurait être tenue en respect par les seules forces des nations occidentales; l'existence d'un contrepoids sur la frontière orientale est une condition absolue de l'équilibre européen. Cette constatation a été la base de l'alliance franco-russe. Mais l'absence d'une Pologne indépendante, en même temps qu'elle obligeait la France à s'allier avec la seule grande puissance d'Orient, fût ce la Russie des Tsars, agissait aussi dans une direction opposée. Elle liait la Russie à l'Allemagne, par un intérêt commun, basé sur une complicité. La question polonaise a attaché la Russie, à la fois, aux deux groupements hostiles qui se partageaient l'Europe; elle a rendu fatales et l'alliance et la défection. Aussi longtemps que la Pologne est restée en servage, l'Entente ne pouvait pas se passer contre l'Allemagne du contrepoids russe, et la Russie ne pouvait pas se passer

davantage du contrepoids allemand contre la Pologne. La question polonaise a ainsi plongé l'Europe dans le duplicité.

Maintenant que la Russie n'existe plus comme force organisée et comme élément d'équilibre en Europe, c'est à la Pologne que revient ce rôle indispensable à la paix du monde. Les circonstances peuvent changer; les apparences du continent peuvent se modifier; la question polonaise demeure l'un des termes constants de la politique européenne. C'est pour l'avoir oublié que le Congrès de Vienne a préparé à l'Europe un siècle de déchirements et à notre génération des épreuves sanglantes; et il en serait de même si les Alliés se voyaient obligés un jour de transiger sur la question polonaise, de laisser toucher à l'une des pierres angulaires de l'Europe future.

Lorsqu'éclata la guerre mondiale, tous les belligérants cherchèrent à attirer la Pologne de leur coté. Le chef des armées austro-hongroises adressa aux Polonais une proclamation leur annonçant la libération du joug russe ; et le commandement allemand, de son coté, leur assura que les Allemands apportaient à la Pologne "la liberté et l'indépendance." Le 6 août, 1914, le genéral Pilsudski passa la frontière du royaume, à la tête d une compagnie des légions polonaises, qu'il avait organisées dès le temps de paix en vue de la lutte contre le tsarisme.

Elément nécessaire de toute majorité parlementaire en Autriche, fidèles serviteurs de la Couronne et détenteurs de hautes charges de cour, les Polonais font à Vienne, depuis fort longtemps, la pluie et le soleil. Dans une guerre où la Russie se fût trouvée seule en face de l'Autriche-Hongrie, les vœux des Polonais n'eussent pas été douteux. Mais l'alliance de l'Autriche avec la Prusse d'une part et de l'autre le crédit dont jouissaient en Pologne les puissances libérales, en particulier la France, vinrent rendre les sentiments des Polonais plus complexes et plus incertains.

Les Polonais ont toujours été d'accord entre eux sur les grandes lignes d'un programme minimum, comportant les trois points suivants: (a) la question polonaise est un problème international, qui échappe aux décisions internes et unilatérales de l'un des belligérants et devra être réglé

par le congrès de la paix; (b) la Pologne doit recevoir sa complète indépendance, et devenir un Etat, l'autonomie, notion interne et subordonnée, devant être écartée comme insuffisante; (c) la Pologne doit être unifiée et posséder un accès direct à la mer, condition de son indépendance économique et politique.

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Toutefois, au début de la guerre, bien que d'accord sur la théorie, les Polonais se divisèrent sur la tactique. Dès le 8 août 1914, les députés polonais faisaient à la Douma et au Conseil de l'Empire, à Pétrograde, une déclaration de loyalisme, faisant appel à l'union des Slaves et demandant l'unité de la Pologne sous l'égide du Tsar. Le 16 août, le Grand-duc Nicholas adresse aux Polonais sa proclamation fameuse: L'armée russe vous apporte une assurance de réconciliation. Elle détruira les frontières qui divisent le peuple polonais et réalisera l'union sous le sceptre du Tsar de la Pologne ressuscitée, libre dans sa religion, sa langue et son autonomie.' Les représentants de la nation polonaise en Russie remercient le Grand-Duc et prennent acte de ses déclarations; et, le 25 août, le Comité national polonais de Pétrograde déclare, dans un manifeste, que le pire ennemi de la Pologne est l'Allemagne, et que la seule idée de tous les Polonais est l'union des trois parties de leur pays. Il conjure tous les Polonais d'oublier leurs rancunes contre la Russie.

En Russie, les Polonais pensaient donc, en général, que la Pologne devait tout d'abord réaliser son unité, que l'armée russe pouvait seule lui donner, et qu'elle saurait bien conquérir ensuite son indépendance. En Autriche, au contraire, les Polonais insistaient de préférence sur le postulat de l'indépendance, l'unité leur paraissant irréalisable. Seuls les Polonais de Prusse sont toujours restés intransigeants sur l'ensemble du programme national.

Il ne s'agissait là d'ailleurs que de différences tactiques. Les Polonais d'Autriche, pas plus que ceux de Russie, n'ont jamais confondu leur cause avec celle de leurs maîtres; et le maréchal Dankl a pu déclarer à la Chambre des Seigneurs, à Vienne: 'Nous étions en Pologne en pays ennemi, entourés et suivis, pas à pas, par la trahison. En Galicie même, nous n'avons nulle part trouvé l'appui que nous étions en droit d'attendre d'autorités autrichiennes. Les Polonais du Royaume ne se sont pas

davantage montrés enthousiastes d'être libérés du joug russe.' Ce témoignage peu suspect, au travers duquel perce une profonde déception, prouve que les Polonais de Russie, encouragés par le manifeste du Grand-Duc, se conduisirent en sujets loyaux du Tsar. Mais leur loyalisme et leur confiance furent bien mal récompensés par la suite des événements.

C'est une erreur de croire que toutes les questions posées par l'histoire et par la politique sont solubles. Au point de vue russe, la question polonaise ne l'était pas. Vouloir concilier les intérêts de Pétrograde et ceux de Varsovie, les conceptions du Tsar et celles du peuple polonais, était une entreprise chimérique et périlleuse. L'opinion publique occidentale ne le comprit pas immédiatement; elle ne vit dans la Pologne que la Posnanie, et, réalisant d'instinct la guerre sous son angle moral, elle y vit une croisade pour la Justice, pour la Liberté, pour les petites nations. Elle mesura en même temps les services que la Pologne pouvait rendre à la cause des Alliés, et sur ce point ne se trompa pas. Elle inspira indirectement la proclamation du Grand-Duc, qui fut, en un certain sens, un acte profondément politique, puisqu'il rallia, au moins dans le royaume, l'opinion polonaise à la cause russe. L'opinion occidentale n'eut pas de peine à reconnaitre dans ce document, sous quelques réserves et réticences, la pensée qui l'avait inspiré. De ce côté, l'adhésion devait être unanime et elle le fut; elle contribua à l'enthousiasme que rencontra en France, parmi les gens les plus avancés, la guerre aux cotés de la Russie absolutiste. Mais cet enthousiasme reposait sur un malentendu. Entre les conceptions occidentales et celles du gouvernement russe, il y eut, dès le premier jour de la guerre, une opposition inconsciente; et la ligne de démarcation, sur le terrain, entre les unes et les autres, passait par la Pologne.

Aux yeux des Russes de l'Ancien Régime, la Pologne n'était pas seulement, en droit, une partie intégrante et indissoluble de l'Empire; elle en était, en fait, une partie indispensable. C'est en Pologne que la Russie avait son centre industriel; et il paraissait impossible d'élever entre Lodz et Moscou une barrière douanière sans susciter à l'Empire les plus graves difficultés. Les Allemands le savaient bien lorsque, dès les premiers jours de la guerre,

ils cherchaient à mettre la main sur les trésors de Lodz et de Czenstochau, qui ne consistent pas seulement dans la Vierge fameuse. Dans une foule de métiers auxquels les Russes se montraient impropres, les Polonais jouissaient d'un véritable privilège. Il eût paru impossible de faire vivre la Russie sans les médecins, les techniciens et les fonctionnaires polonais; tenus à l'écart des charges publiques en Pologne, les Polonais formaient, dans le reste de l'Empire, une élite intellectuelle. Le problème d'une Russie sans Pologne paraissait insoluble, au point de vue économique et administratif.

Il ne l'était pas moins au point de vue moral et politique. Ceux qui reprochaient alors au Tsar de ne pas se montrer assez généreux envers ses sujets polonais ne se rendaient sans doute pas compte des répercussions politiques infinies de chacun de ses actes dans cet immense empire, aux cent peuples hostiles. Lui-même, s'en rendait-il bien compte? Savait-il que la moindre concession aux Polonais susciterait des convoitises, des rancunes, des revendications. en Ukraine, en Lituanie, en Russie blanche, plus loin encore, jusqu'aux confins de la Sibérie et du Caucase? L'Allemagne, du moins, comprit quelle imprudence les Allies-et le Grand-Duc, à leur imitation avaient commise en jetant au milieu de ce chaos le principe dissolvant des nationalités; et elle ne laissa pas perdre sa constatation.

Au point de vue russe, la proclamation du Grand-Duc, malgré l'effet immédiat favorable qu'elle eut en Pologne, fut donc une imprudence. Mais la manière dont cette promesse fut exécutée, ou plutôt annihilée, en fut une plus grave encore. Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. Les espoirs des Polonais ayant été éveillés et même surexcités, rien ne pouvait être plus dangereux que de les décevoir brutalement. La conduite des Russes en Galicie, leur zèle à convertir de force les catholiques, auxquels ils avaient promis la liberté de leur culte, les abus et les exactions de tout genre dont s'accompagna la conquête, confinèrent à l'inconscience politique. Le 13 octobre, le comte Bobrinski déclarait dans un discours que la Galicie 'faisait partie intégrante de la GrandeRussie.' Le gouvernement du Tsar, loin de ratifier les promesses du Grand-Duc, cherchait à les noyer dans des chicanées d'avocat: Ces promesses (disait-on aux

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