lisant ce livre, il me semble que j'assiste au spectacle de l'aurore. Je sens mon front caressé par la brise matinale, je vois le soleil commencer à darder ses premiers rayons et les légers nuages qui flottent à l'horizon s'empourprer dans l'immensité claire. Je me laisse entraîner par l'enthousiasme du poëte, car c'est un vrai chant qui résonne à mes oreilles; et, parfois même je crois saisir de vrais accents de passion. Si la Nature est la contre-partie de l'âme, son but est évidemment de servir à l'éducation et aux besoins. de l'homme. Emerson renferme les différents services qu'elle peut nous rendre dans les différentes catégories de Commodité, de Beauté, de Langage et de Discipline. Ce qu'il dit du Langage m'intéresse particulièrement, d'autant plus que j'y trouve la définition. de sa poésie elle-même, - définition qui peut se formuler ainsi : "La Poésie est l'expression d'un fait spirituel par un symbole naturel." Le Poëte prend possession de la Nature toute entière et s'en sert pour exprimer ses pensées. Il donne une voix à toute créature et fait de l'univers une immense trope: "L'imagination," dit Emerson, "peut être définie l'usage que la raison fait du monde extérieur," et, comme exemple, il cite Shakespeare; il parle de ses merveilleux Sonnets avec un enthousiasme entraînant; mais ce qu'il dit de Shakespeare peut s'appliquer aussi à lui-même. La poésie d'Emerson c'est vraiment la Nature traduite en pensée; il a fait entrer dans sa trame le brin de paille que l'hirondelle avait dans son bec, son livre est parfumé de l'odeur des pins, sa voix est aussi douce que le frémissement des gerbes d'épis, et que le murmure des ruisseaux qui coulent sous l'herbe. À l'œil perçant du poëte une loi de progrès se manifeste dans cette belle Nature qu'il contemple et il suit le mouvement ascensionnel dans l'échelle des êtres : "A subtle chain of countless rings Mounts through all spires of form." L'homme voila donc le dernier anneau de la chaine, le couronnement de l'œuvre, le roi de la création. L'homme, c'est la matière arrivée au point où elle a conscience de son existence. L'homme a un âme; et cette âme est l'étincelle divine qui vient du foyer central. L'âme c'est Dieu dans l'homme; et Dieu est l'être où s'unissent toutes les individualités. Il n'y a pas de mouvements lyriques comparables à ceux d'Emerson lorsqu'il parle de cette unité et de cette identité de l'âme humaine: "This central fire which, beaming out of the lips of Etna, lightens the capes of Sicily; and flaming now out of the throat of Vesuvius, illuminates the towers and vineyards of Naples. It is one light which beams out of a thousand stars; it is one soul which animates all men." De cette haute conception de ce qui constitue notre individualité, Emerson fait découler la première règle sur laquelle il édifiera sa morale. Sonore et perçante comme la note du clairon, il lance cette phrase, "Trust thyself, every heart vibrates to that iron string." Mais cette confiance en nous-mêmes, pour en jouir il faut que nous fassions le sacrifice de tout ce que nous avons de personnel et d'égoïste en nous. Pour que nous puissions compter sur nous-mêmes, il est nécessaire que nous ayons d'abord pleine et entière confiance dans les éternelles lois de l'Univers. "Les éternelles lois, comme un fleuve puissant, "Notre barque, flottant sur cette onde paisible, "Nous n'avons pas besoin d'un incessant travail ; "Mais il faut fermement tenir le gouvernail, Et surtout se garder d'aller en sens inverse; C'est notre obéissance à ces lois qui seule peut nous rendre forts. "Lorsqu'un homme," dit Emerson, “travaille dans la direction du Bien; il est aidé par toutes les forces de l'Univers. Ce sont ces lois immuables, c'est cet ordre éternel des choses que les hommes accusent dans leur folie. C'est ce même Pouvoir bienfaisant qu'ils appellent Fatalité, lorsqu'ils se sentent blessés pour avoir tenté de le violer." "Tis weak and vicious people who cast the blame on Fate; the right use of Fate is to bring up our actions to the loftiness of Nature. Rude and invincible, except by themselves, are the elements; so let man be, let him empty his breast of his windy conceits and show his lordship by manners and deeds on the scale of Nature. A man should compare advantageously with an oak, a river, or a mountain.” "Autour de toi, le rocher, l'arbre, Le granit et le bloc de marbre, Et tout te répète sans cesse Ce qu'ils font sans savoir pourquoi. "Ces vastes mers et ces montagnes, Par ta sublime obéissance Au grand Pouvoir qui t'a fait roi !" Cette confiance que nons devons avoir en nousmêmes, c'est la vertu mère de toutes les autres, c'est le principe fécond qui nous fera nous retrouver nousmêmes. Il changera la face de notre religion, de notre politique, de notre littérature. Nous ne serons plus des imitateurs, mais nous oserons être nous mêmes. Nous ne nous contenterons pas d'une admiration stérile pour les œuvres du passé; mais nous essaierons nous aussi de les égaler et de les surpasser. Le sens d'indépendance spirituelle, d'après Emerson, est comme cet admirable vernis de la rosée; grâce auquel cette vieille terre et toutes ses productions sont rendues chaque matin nouvelles et brillantes. sous la dernière touche de l'artiste. Non, nous ne nous laisserons pas décourager par les gloires du passé. Les grands hommes qui nous ont précédé nous les considérerons comme des plongeurs heureux dans cet Océan, dont le fond est encore pavé de perles dont nous pouvons nous emparer. "Oui, d'autres ont plongé dans cette mer profonde, ou, en Je pro Comment Emerson se sert-il de ses idées; d'autres termes; quelle est sa méthode ? nonce là un mot qui sonne étrangement quand on parle d'Emerson; il est généralement pris dans une acception si pédantesque qu'il est vraiment dangereux de l'employer. La méthode d'Emerson est toute poétique. Il y a une phrase de Montaigne, que du reste Emerson s'est appropriée, et qui exprime admirablement ce que j'ai dans la pensée. "Les abeilles," dit Montaigne, "qui pillotent de ci, de là, font le miel qui est tout leur; ce n'est plus ni |